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Tracés, n°26/2014

Tracés, n°26/2014

Pirater


Tracés



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Le pirate est un personnage protéiforme, tant du fait de la pluralité des phénomènes auquel il renvoie (les pirates historiques, les figures littéraires qui s'en inspirent, les pirates des mers ou des routes contemporains, les pirates informatiques) que par la diversité des champs dans lequel il apparaît (savant, juridique, littéraire, technique…). Il est aussi un personnage étrange, par les connotations extrêmes et contradictoires que le terme « pirate » charrie. Parfois incarnation de la liberté la plus absolue et objet de fascination, le pirate est parallèlement l’« ennemi du genre humain » (hostis humani generis) quand il est saisi par le droit. Ce numéro a pour but de prendre au sérieux cette ambiguïté, non pas en essayant de l’enfermer dans une typologie rassurante ou une définition unique, ni en prouvant au contraire l’irréductibilité des différents phénomènes pirates, mais en s’intéressant plutôt à la façon dont cette ambivalence et cette pluralité sont produites et à leurs effets sur les êtres qualifiés de pirates. Si la figure du pirate est sujette à des interprétations si contradictoires, c’est qu’il se joue quelque chose dans les luttes pour sa définition, dans les stratégies d’appropriation, de récupération et d’invalidation de ses usages, quelque chose qui peut et doit faire l’objet d’une investigation.
Les textes rassemblés dans ce numéro ont en commun d’essayer d’aller au-delà des définitions a priori des termes pirate, pirater, piraterie, piratage pour qualifier des situations, des activités et des êtres donnés. Ils s’interrogent sur ce que l’usage de ces termes fait voir et sur ce qu’il dissimule, sur ce qui est mis en œuvre dans les processus de qualification et de disqualification des phénomènes dits pirates et sur ce que ces processus révèlent des situations étudiées et des logiques des acteurs en présence. Juristes, historiens, littéraires, sociologues, philosophes, politistes se sont penchés à leur manière et avec leurs outils sur cet objet commun.
La voie d’entrée privilégiée – sans être exclusive – a été celle du pirate informatique et de ses activités. En effet, c’est là que la qualification d’un phénomène comme pirate est la plus discutée, la plus actuelle et aussi la plus inattendue : qu’y a-t-il de commun entre l’image familière – elle aussi construite et sujette à interprétation – du flibustier des Caraïbes du XVIIe siècle et les activités des hackers, ces personnes qui bidouillent, transforment et détournent les outils électroniques et numériques de leur fonction initiale ? Loin d’être une simple métaphore, ces dernières années le terme pirate est devenu omniprésent dans le débat autour des pratiques des hackers, que ce soit dans les projets de lois visant à faire respecter les droits exclusifs de propriété intellectuelle dans l’espace numérique ou chez les activistes luttant contre ces projets. Ainsi, les pratiques et discours du piratage sont au cœur des conflits qui se jouent autour de la définition des usages de l’espace numérique et de leur régulation, et qui mettent aux prises des acteurs divers – États, entreprises, hackers, usagers, etc.