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Nuits

Nuits


Tohu Bohu



Nuits est composé de deux pièces – La nuit de Montagnac et La nuit de Bellelande – dont les intrigues se déroulent simultanément (entre le soir du 24 décembre et le matin du 25), en des lieux différents mais situés à l’intérieur d’un même cadre spatial : les deux demeures éloignées se font vis-à-vis sur l’adret et l’ubac d’une haute vallée, de telle sorte qu’on peut voir les lumières de Montagnac depuis Bellelande et vice-versa. Les personnages mis en scène dans les deux pièces se connaissent, font référence les uns aux autres, et certains d’entre eux joue un rôle important dans les deux actions. Dans l’une et l’autre, le Diable mène le jeu et retourne le souci d’humanité et l’esprit d’abnégation en folie inhumaine.

Dans La nuit de Montagnac, il endosse la figure, traditionnelle, de l’Accusateur et amène des responsables de « l’action humanitaire », retirés dans une ferme isolée pour un moment de réflexion et de retraite, à se soupçonner les uns les autres et à se haïr jusqu’à vouloir se détruire. Dans La nuit de Bellelande, le Malin adopte la figure - dont les tragédies du XXe siècle ont révélé le caractère parfois diabolique -, de l'Organisateur. Les habitants de Bellelande prétendent d’abord venir en aide à un convoi de malheureux en perdition (des sans papiers ? des tziganes venus de l’est ? existent-ils vraiment ? la pièce ne le dit pas). Mais, sous l’impulsion du Diable, l’organisation des secours se transforme en entreprise de destruction. Le ressort de la pièce est ainsi constitué par l'engagement progressif de personnes ordinaires, se présentant d’abord comme bien intentionnées, dans le crime collectif. Á travers la dérive de cette tentative de sauvetage, se donne métaphoriquement à lire une satire du système concentrationnaire nazi, imitant avec un humour amer les critères de sélection qui amènent un humain à être défini comme supérieur à un autre, et classé comme tel.

Nuits est avant tout la prise de conscience en chaque homme – si humain, voire humaniste, qu’il puisse être –, de son égoïsme et de sa culpabilité, une prise de conscience violente, guidée, dans les deux cas, par la parole d’un diable, incarné dans un ami, un voisin. Luc Boltanski stigmatise l’action du diable dans les deux pièces, comme étant « ce qui, par un jeu de causalité imparables, entraîne des personnes ordinaires, ni meilleures ni pires que d’autres, dans l’enfer de la répétition ».