L'Essai sur l'histoire de la société civile publié par Adam Ferguson à Édimbourg en 1767 est une « histoire naturelle » de l’homme : à la fois enquête sur sa nature et son évolution et histoire critique de la société politique engagée dans la voie de la civilisation. Dans quelle mesure la liberté et la vertu dont dépend le bonheur de l’homme sont-elles compatibles avec le progrès et ses effets sur les mœurs, la propriété, le commerce ou la division du travail ? À quelle condition, autrement dit, le développement des sociétés modernes respecte-t-il les fondements éthiques et anthropologiques de notre humanité et les conditions politiques de notre vivre-ensemble ? Telle est l’interrogation qui est au centre de l’Essai.
Marquée par la tradition de l’humanisme civique, la réponse de Ferguson s’inscrit dans le cadre neuf d’une théorie de l’histoire inspirée par cette découverte capitale héritée de Montesquieu et de Hume par l’École historique écossaise : l’autoconstitution du social. Loin que le pouvoir produise la société par volonté constitutive, c’est la société qui produit le pouvoir et les institutions au gré des combinaisons fortuites des actions individuelles. Dans le rapport nouveau qui s’instaure ainsi entre l’individu et la communauté, l’enjeu éthique réside dans la capacité de nos sociétés à prévenir l’annexion du social et du politique par la logique du marché.
Il n’est nul besoin d’insister sur l’actualité d’un livre reçu par la tradition marxiste comme par le courant libéral et dans lequel Foucault voyait « le texte le plus fondamental, le texte quasi statutaire quant à la caractérisation de la société civile ». Cette édition donne de ce texte une traduction entièrement nouvelle, enrichie d’un important appareil critique.