Volontiers entretenu par les juristes, le postulat de l'autonomie du droit et de son « isolement » absolu vis-à-vis du monde social, a longtemps dissuadé les sciences humaines d'appréhender la pensée juridique pour elle-même. Inversement, les facultés de droit – en France tout particulièrement – se montraient d’ordinaire réticentes à intégrer les apports de la sociologie, de l’anthropologie ou de l’historiographie dans leurs cursus. Depuis une vingtaine d’années environ, on assiste à de sensibles évolutions, qui voient les sciences sociales s’aventurer franchement sur le terrain du droit et prendre en charge des questions qui touchent aussi bien aux usages du droit qu’à son fonctionnement spécifique et technique.
En offrant un aperçu de cette reconfiguration actuelle des rapports entre droit et sciences sociales, ce numéro laisse entrevoir quelques dynamiques et chantiers de recherches prometteurs. Plusieurs contributions pointent la manière dont la pensée critique a pu s’enrichir en envisageant le droit non plus comme un simple instrument de domination, mais bien plutôt comme une ressource mobilisable pour qualifier, analyser et contester une situation. D’autres montrent que ce changement de perspective s’accompagne d’une meilleure maîtrise, par les sciences sociales, des opérations du droit (fiction, qualification, etc.) et des spécificités du raisonnement juridique.
Pour mieux saisir le droit, il semble dès lors utile, d’une part, de réconcilier ses usages politiques avec l’analyse de l’outillage technique et formalisé des juristes ; d’autre part, de mieux distinguer les différentes formes de normativité, autrement dit de faire l’histoire comparée du concept et des mutations du droit.